18
Double jeu

 

 

Caché dans son coin préféré du Cercle des Bandits, en face du Chameau qui crache, Dondon regarda l’elfe, le dernier des quatre, pénétrer dans l’auberge pour y rejoindre ses amis. Il sortit ensuite de sa poche un petit miroir afin de contrôler son déguisement. La saleté et les détails étaient bien en place : des vêtements bien trop larges, comme ceux qu’aurait chapardés un orphelin des rues à un ivrogne inconscient dans une ruelle, tandis que ses cheveux étaient judicieusement ébouriffés et emmêlés, comme s’ils n’avaient pas été peignés depuis des années.

Dondon contempla avec convoitise la lune et se tâta le menton des doigts. Toujours pas de poil mais ça fourmille, songea-t-il. Il prit une profonde inspiration, puis une autre, luttant contre son impatience lycanthropique. Dans l’année qui avait suivi le jour où il avait rejoint les rangs de Rassiter, il avait plutôt bien appris à contrôler ces envies violentes mais il espérait régler son affaire au plus vite cette nuit-là. La lune était particulièrement brillante.

Des habitants du quartier lui firent des clins d’œil approbateurs quand ils passèrent devant lui, en voyant que le maître artiste en escroquerie était une nouvelle fois sur la piste d’une proie. Avec sa réputation, Dondon était depuis longtemps devenu inoffensif pour les habitués des rues de Portcalim mais ces gens savaient qu’il valait mieux ne pas dénoncer le halfelin aux étrangers. Dondon parvenant toujours à s’entourer des voyous les plus durs de la ville, révéler sa couverture à une victime potentielle aurait été considéré un véritable crime !

Peu de temps après, le halfelin s’adossa contre le coin d’un bâtiment et observa les quatre compagnons sortir du Chameau qui crache.

Pour Drizzt et ses amis, la nuit de Portcalim semblait aussi peu naturelle que tout ce qu’ils avaient vu durant la journée. Contrairement aux cités du Nord, où les activités nocturnes se restreignaient essentiellement à quelques tavernes, l’agitation des rues de Portcalim redoublait après le coucher du soleil. Les pauvres bougres eux-mêmes adoptaient une démarche différente et paraissaient soudain mystérieux et sinistres.

Le seul endroit qui n’était pas envahi par la foule était la zone qui faisait face à la structure sans enseigne au bout du cercle : le quartier général de la guilde. Comme durant la journée, des clochards étaient assis contre les murs du bâtiment, de part et d’autre de son unique porte, mais deux gardes supplémentaires avaient désormais pris position un peu plus loin, de chaque côté.

— Si Régis est là-dedans, nous devons trouver un moyen d’y entrer, dit Catti-Brie.

— Il y est, ça ne fait aucun doute, répondit Drizzt. Nos recherches devraient d’abord se concentrer sur Entreri.

— Nous sommes venus pour libérer Régis, lui rappela la jeune femme en lui lançant un regard déçu.

Elle fut toutefois satisfaite quand l’elfe s’expliqua :

— La route qui mène à Régis passe par l’assassin. Entreri l’a également compris. Tu as entendu ses paroles au gouffre du Défilé de Garumn. Il ne nous laissera pas trouver Régis sans avoir affaire à lui.

Catti-Brie ne put réfuter la logique du drow. Lorsque Entreri avait enlevé Régis à Castelmithral, il s’était donné la peine d’appâter Drizzt, comme si la capture du halfelin n’était qu’un simple élément du jeu qui l’opposait à l’elfe.

— Par où commencer ? râla Bruenor, frustré.

Il s’était attendu à trouver la rue plus calme, ce qui leur aurait permis de mieux évaluer la tâche à laquelle ils s’attelaient. Il avait même espéré qu’ils pourraient régler cette histoire cette nuit même.

— Commençons par l’endroit où nous sommes, répondit Drizzt, à la stupéfaction du nain. Apprends à respirer les odeurs de la rue. Observe les mouvements des passants et écoute-les. Prépare ton esprit à ce qui doit survenir.

— Une minute, l’elfe ! gronda Bruenor. Mon cœur me dit que Ventre-à-Pattes est sur le point de recevoir des coups de fouet dans le dos alors que nous restons ici à humer cette rue puante !

— Nous n’avons pas besoin de chercher Entreri, intervint Wulfgar, qui suivait le raisonnement de Drizzt. Il nous trouvera.

Presque à l’unisson, comme si la remarque du barbare leur avait rappelé le danger de leur environnement, tous les quatre tournèrent le regard vers l’extérieur de leur petit groupe et observèrent l’agitation de la rue autour d’eux. Des yeux sombres les guettaient depuis chaque coin de rue, chaque personne qui passait près d’eux leur lançait un regard de côté. Les étrangers n’étaient pas inhabituels à Portcalim – c’était un port de commerce, après tout – mais ces quatre-là auraient détonné dans les rues de n’importe quelle cité des Royaumes. Conscient de leur vulnérabilité, Drizzt décida qu’ils devaient se mettre en mouvement. Il se mit à marcher dans le Cercle des Bandits et fit signe aux autres de le suivre.

Avant que Wulfgar, derrière ses amis, ait eu le temps d’effectuer un pas, une voix enfantine l’interpella depuis les ombres du Chameau qui crache.

— Hé ! Intéressé par un coup ?

Wulfgar, qui ne comprenait pas, s’approcha légèrement et scruta l’obscurité. Dondon se tenait là, sous ses airs de jeune humain débraillé.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Bruenor en rejoignant Wulfgar.

Celui-ci désigna le coin du doigt.

— Qu’est-ce qu’il y a ? répéta le nain, qui distinguait maintenant vaguement la minuscule silhouette.

— Intéressés par un coup ? dit Dondon en sortant de l’ombre.

— Bah ! laissa tomber Bruenor avec un geste de la main. Juste un gamin. Va-t’en, petit, on n’a pas le temps de jouer !

Il agrippa le bras de Wulfgar et se retourna.

— Je peux vous proposer quelque chose ! insista Dondon.

Bruenor continua à marcher, le barbare à ses côtés, mais Drizzt s’était arrêté, en constatant le retard de ses compagnons, et il avait entendu les derniers mots du garçon.

— Juste un gamin ! expliqua le nain quand le drow s’approcha.

— Un gamin des rues, corrigea Drizzt en contournant ses deux amis. Avec des yeux et des oreilles qui ne ratent pas grand-chose.

Tout en se rapprochant du bâtiment afin de rester hors de vue des bandes trop curieuses, il s’adressa à Dondon.

— Que peux-tu nous proposer ? murmura-t-il.

— Il y a beaucoup de choses à voler, répondit le halfelin après avoir haussé les épaules. Tout un groupe de marchands est arrivé aujourd’hui. Que cherchez-vous ?

Bruenor, Wulfgar et Catti-Brie se placèrent en position défensive autour de Drizzt et du garçon, les yeux tournés vers l’extérieur, même s’ils ne manquaient rien de cette conversation soudain intéressante.

L’elfe s’accroupit et désigna du regard la construction qui s’élevait à l’extrémité du Cercle.

— La maison d’Amas, commenta le halfelin avec désinvolture. La plus solide de Portcalim.

— Mais elle a une faiblesse, enchaîna Drizzt.

— Comme toutes les autres, répondit posément Dondon, qui jouait à la perfection son rôle de survivant des rues effronté.

— Y es-tu déjà entré ?

— Peut-être…

— As-tu déjà contemplé une centaine de pièces d’or ?

Dondon laissa ses yeux s’illuminer et se mit à sautiller ostensiblement d’un pied sur l’autre.

— Conduisons-le à nos chambres, dit alors Catti-Brie. On attire trop les regards ici.

Dondon, qui accepta sans se faire prier, lança toutefois à Drizzt une mise en garde, sous la forme d’un regard glacial, avant de proclamer :

— Je sais compter jusqu’à cent !

Quand ils eurent regagné l’une de leurs chambres, Drizzt et Bruenor dispensèrent au halfelin un flot régulier de pièces, tandis que celui-ci leur exposait comment pénétrer dans le bâtiment par une entrée secrète située à l’arrière.

— Même les voleurs ne la connaissent pas ! se vanta Dondon.

Les compagnons se rapprochèrent encore, avides de détails.

Dondon rendait cette opération si facile.

Trop facile.

Drizzt se leva et se retourna afin de dissimuler un petit rire à leur informateur. Ne venaient-ils pas juste d’envisager qu’Entreri prendrait contact avec eux ? À peine quelques minutes avant que ce gamin qui savait tant de choses apparaisse fort à propos pour les guider…

— Wulfgar, ôte-lui ses bottes, dit l’elfe.

Ses trois amis se tournèrent vers lui, étonnés, tandis que Dondon se tortillait sur sa chaise.

— Ses bottes, répéta Drizzt en se retournant, un doigt pointé sur les pieds du garçon.

Bruenor, qui était depuis longtemps l’ami d’un halfelin, comprit où l’elfe voulait en venir et n’attendit pas que Wulfgar se décide. Il s’empara de la botte gauche de Dondon et l’ôta, dévoilant ainsi une épaisse fourrure – le pied d’un halfelin.

Se sachant découvert, Dondon haussa les épaules et se laissa retomber sur sa chaise. Cette entrevue se déroulait exactement selon les prédictions d’Entreri.

— Il a dit qu’il voulait nous proposer quelque chose, rappela Catti-Brie. De nous jeter dans la gueule du loup, peut-être ?

— Qui t’a envoyé ? gronda Bruenor.

— Entreri, répondit Wulfgar à la place du halfelin. Il travaille pour Entreri et a été envoyé ici pour nous faire tomber dans un piège.

Le barbare se pencha vers Dondon, masquant la lumière des bougies de son impressionnante carrure.

Bruenor le poussa sur le côté et prit sa place. Avec ses allures d’adolescent, Wulfgar n’en imposait pas autant que ce combattant nain au nez pointu, à la barbe rousse et aux yeux flamboyants, coiffé de son casque abîmé.

— Alors, espèce de petit cafard, gronda-t-il au visage de Dondon. C’est ta langue puante qui est en jeu ! Remue-la dans le mauvais sens et j’te la coupe !

Le halfelin blêmit – encore une fois, à la perfection – et se mit nettement à trembler.

— Du calme, dit Catti-Brie à son père, jouant cette fois un rôle plus conciliant. Tu as suffisamment effrayé ce petit.

Bruenor la repoussa, lui adressant au passage un clin d’œil discret.

— Effrayé ? riposta le nain, avant de s’emparer de sa hache et de la positionner sur son épaule. J’ai bien l’intention d’aller plus loin qu’ça !

— Attendez ! Attendez ! supplia Dondon en se pelotonnant sur lui-même comme seul un halfelin en était capable. Je n’ai fait que ce que l’assassin m’a ordonné, et ce pour quoi il m’a payé.

— Tu connais Entreri ? s’enquit Wulfgar.

— Tout le monde connaît Entreri. Et à Portcalim, tout le monde obéit à Entreri !

— Oublie-le ! rugit Bruenor. Ma hache l’empêchera de t’faire du mal.

— Vous pensez pouvoir tuer Entreri ? dit Dondon, qui avait pourtant parfaitement compris les paroles du nain.

— Entreri ne pourra pas s’en prendre à un cadavre, expliqua Bruenor d’une voix glaciale. Ma hache trouvera avant lui le chemin de ta tête !

— C’est vous qu’il veut, dit Dondon à Drizzt, tentant ainsi d’apaiser les esprits.

L’elfe hocha la tête mais conserva le silence. Quelque chose ne cadrait pas dans cette curieuse rencontre. Ne voyant pas d’aide venir de la part de l’elfe, Dondon se tourna vers Bruenor.

— Je ne suis dans aucun camp, poursuivit-il d’un ton suppliant. Je me contente d’essayer de survivre.

— Et pour survivre maintenant, tu vas nous indiquer comment entrer, répliqua le nain. En sécurité.

— Cet endroit est une forteresse, lâcha le halfelin. Aucun passage n’est sûr. (Bruenor s’approcha, menaçant.) Mais si je devais essayer, je tenterais ma chance par les égouts.

Bruenor se tourna vers ses amis.

— Ça me semble correct, dit Wulfgar.

Drizzt observa encore le petit être un long moment, en quête d’un indice dans ses yeux perçants.

— C’est correct, dit-il enfin.

— Il a donc sauvé sa tête mais qu’allons-nous faire de lui ? dit Catti-Brie. Le prendre avec nous ?

— Ouais ! dit Bruenor avec un sourire mauvais. C’est lui qui ouvrira la marche !

— Non, trancha Drizzt, à la surprise de ses compagnons. Le halfelin nous a répondu. Laissez-le partir.

— Pour qu’il file tout raconter à Entreri ? s’étonna Wulfgar.

— Entreri ne comprendrait pas, répondit le drow. Pas plus qu’il ne pardonnerait…

Sur ces mots, il regarda Dondon dans les yeux, sans lui laisser penser qu’il avait deviné son petit jeu dans sa comédie.

— Mon cœur me dit qu’il faut l’emmener, insista Bruenor.

— Laissez-le partir, répondit Drizzt, imperturbable. Faites-moi confiance.

Bruenor grogna et reposa sa hache sur le côté, puis se dirigea vers la porte ouverte tout en ronchonnant. Wulfgar et Catti-Brie échangèrent des regards inquiets mais s’écartèrent.

Dondon n’hésita pas mais Bruenor se dressa devant lui sur le pas de la porte, toujours aussi menaçant.

— Si j’revois ta bobine, ou n’importe quel autre déguisement qui pourrait te cacher, je te coupe en deux !

Le halfelin se faufila dans le couloir sans jamais quitter le dangereux nain des yeux, puis il prit ses jambes à son cou. Ce faisant, il secoua la tête, stupéfait de constater à quel point Entreri avait parfaitement imaginé la rencontre et à quel point il connaissait ces quatre compagnons, en particulier le drow.

Devinant quelle vérité se cachait derrière cette entrevue, Drizzt doutait que les dernières menaces de Bruenor aient beaucoup effrayé le halfelin rusé. Celui-ci les avait bravés en usant de deux mensonges successifs sans afficher la moindre faiblesse.

Cependant, l’elfe opina du chef en voyant Bruenor, qui rageait toujours, faire son retour dans la chambre. Il savait que ces menaces, à défaut d’autre chose, avaient au moins eu le mérite de rassurer le nain lui-même.

Sur la suggestion de Drizzt, ils s’installèrent tous pour dormir un peu. Avec le vacarme qui régnait dans les rues, il leur aurait été impossible de se glisser discrètement dans une grille d’égout. La foule se disperserait probablement avec la fin de la nuit, tandis que les dangereux malfrats nocturnes seraient remplacés par les clochards du jour.

Seul Drizzt ne trouva pas le sommeil. Il resta adossé à la porte de la chambre, à guetter les bruits d’une éventuelle approche et se laissa aller à méditer, bercé par la respiration régulière de ses compagnons. Il baissa les yeux sur le masque, pendu autour de son cou. Ce mensonge si simple pouvait lui permettre de parcourir librement le monde.

Ne finirait-il pas toutefois par être victime de sa propre supercherie ? Quelle liberté trouverait-il en reniant sa véritable nature ?

Il posa les yeux sur Catti-Brie, paisiblement endormie sur son lit et sourit. Il y avait décidément de la sagesse dans l’innocence, une pointe de vérité dans l’idéalisme des perceptions réelles.

Il ne pouvait pas la décevoir.

Il sentit qu’au-dehors les ténèbres s’obscurcissaient encore ; la lune s’était couchée. Il s’approcha de la fenêtre et jeta un regard dans la rue. Les noctambules continuaient leurs allées et venues, mais ils étaient moins nombreux désormais, la nuit touchait à sa fin. Drizzt éveilla ses compagnons, convaincu qu’ils ne pouvaient se permettre d’attendre plus longtemps. Après s’être étirés et avoir chassé leur fatigue, ils vérifièrent leurs équipements et descendirent dans la rue.

Les bouches d’égout en fer alignées le long du Cercle des Bandits semblaient plus conçues pour bloquer les immondices sous terre que pour évacuer les ruissellements soudains lors des rares mais violents orages qui s’abattaient parfois sur la ville. Les compagnons choisirent une grille située dans la ruelle à l’arrière de l’auberge, hors de vue du passage principal mais suffisamment proche du bâtiment de la guilde pour leur permettre de s’orienter en sous-sol sans trop de problèmes.

— Mon garçon peut la soulever, déclara Bruenor en poussant Wulfgar vers la grille.

Le barbare se pencha et attrapa les barreaux de fer.

— Pas encore, murmura Drizzt, qui tentait de repérer d’éventuels regards indiscrets.

Il fit signe à Catti-Brie de se poster à l’extrémité de la ruelle la plus proche du Cercle des Bandits, puis il courut surveiller le côté le plus sombre. Quand il fut satisfait, n’ayant rien constaté d’anormal, il adressa un geste à Bruenor, qui se tourna ensuite vers sa fille, laquelle hocha la tête.

— Soulève ce truc, mon gars ! dit le nain. Et en silence !

Wulfgar agrippa fermement les barreaux et emplit ses poumons d’air afin d’être mieux campé sur ses jambes. Ses énormes bras rougirent sous l’afflux sanguin quand il se mit à tirer, tandis qu’il laissait échapper un grognement. Malgré cela, la grille résista.

Incrédule, Wulfgar regarda Bruenor, puis redoubla d’efforts, le visage désormais écarlate. La grille grinça, comme pour protester, mais ne se souleva que de quelques centimètres du sol.

— Il y a sûrement quelque chose qui la retient en bas, dit Bruenor, avant de se pencher pour l’examiner.

Le bruit d’un claquement de chaîne fut le seul signal que perçut le nain quand la grille céda, faisant basculer Wulfgar en arrière. La masse métallique heurta le front de Bruenor, dont le casque vola dans les airs et le nain se retrouva sur les fesses. Quant à Wulfgar, qui tenait toujours la grille dans les mains, il s’écrasa lourdement et avec fracas contre le mur de l’auberge.

— Fichue tête de pioche ! commença à grogner Bruenor.

Drizzt et Catti-Brie accoururent rapidement à leur aide, et leur rappelèrent de faire preuve de plus de discrétion.

— Pourquoi attacher une bouche d’égout ? s’interrogea la jeune femme.

— Et de l’intérieur, ajouta Wulfgar en s’époussetant. On dirait que quelque chose là-dedans veut se préserver de la ville.

— Nous le saurons bien assez tôt, fit remarquer Drizzt. Préparez une torche, je vous appellerai si la voie est libre.

Il se baissa près du trou et glissa ses jambes dans l’ouverture. La lueur d’impatience qui s’était allumée dans les yeux du drow n’échappa pas à Catti-Brie, qui le regarda, quelque peu inquiète.

— Pour Régis, la rassura Drizzt. Et seulement pour Régis.

Puis il disparut dans les ténèbres, aussi sombres que les tunnels sans lumière de son pays.

Les trois autres entendirent un léger bruit d’éclaboussures quand il toucha terre, puis le calme revint.

De longues minutes angoissantes passèrent.

— Allume la torche, murmura Bruenor à Wulfgar.

Celui-ci fut retenu par le bras de Catti-Brie.

— Aie confiance, dit-elle à Bruenor.

— C’est trop long, marmonna le nain. Trop calme.

La jeune femme retint encore le bras de Wulfgar une seconde supplémentaire, puis soudain la voix douce de Drizzt monta jusqu’à eux.

— C’est bon, dit-il. Venez vite.

Bruenor prit la torche des mains de son fils.

— Descends en dernier et replace la grille derrière toi, lui dit-il. Inutile d’indiquer au monde entier par où nous sommes partis !

 

***

 

La première chose que remarquèrent les compagnons, une fois la torche descendue, fut la chaîne qui avait retenu la grille. Presque neuve, c’était évident, elle était reliée à un anneau scellé à la paroi du souterrain.

— J’pense qu’on n’est pas tout seuls, chuchota Bruenor.

Drizzt, qui partageait l’inquiétude du nain, regarda autour de lui. Il ôta le masque de son visage et redevint un drow, dans un environnement de drow.

— Je passe devant, dit-il. Je vais me poster à la limite de l’éclairage, tenez-vous prêts à réagir, quoi qu’il se passe.

Il s’éloigna en silence de quelques pas le long du ruisseau d’eau trouble qui s’écoulait lentement au centre du tunnel.

Bruenor lui emboîta le pas, la torche en main, suivi de Catti-Brie, puis de Wulfgar. Ce dernier devait se pencher pour ne pas heurter de la tête le plafond visqueux. Des rats couinaient en fuyant cette étrange lueur, tandis que des créatures plus sombres se réfugiaient en silence sous l’eau. Le souterrain changeait fréquemment de direction et un nombre incroyable de passages s’ouvraient sur ses côtés, à des intervalles d’à peine quelques mètres. Le bruit d’un ruissellement d’eau ne faisait que perturber davantage le petit groupe, qui le suivit un moment, jusqu’à l’entendre plus fort d’un côté, puis enfin de l’autre.

Bruenor tenta de ne pas se laisser troubler par cet environnement. Il ignora la gadoue et la puanteur fétide pour se concentrer sur la silhouette confuse qui filait devant lui, parfois dans la lueur de la torche, parfois plus loin. En débouchant sur une intersection multiple qui donnait accès à de nombreux tunnels, il aperçut soudain une forme vague sur le côté.

Alors qu’il tournait pour la suivre, il se rendit compte que Drizzt avait dû poursuivre tout droit.

— Prêt ! cria-t-il en lançant la torche vers un endroit sec sur le côté, avant de brandir sa hache et son bouclier.

Sa vigilance les sauva tous car, à peine une seconde plus tard, ce ne fut pas une, mais deux silhouettes vêtues de capes qui surgirent du tunnel latéral, avec leurs épées levées et leurs dents acérées qui brillaient sous des moustaches frétillantes.

Ils avaient taille humaine, portaient des vêtements humains et maniaient des épées. Dans leur autre forme, ils étaient en effet des êtres humains, pas forcément mauvais, mais lors des nuits de pleine lune, ils adoptaient leur face la plus sombre, leur côté lycanthrope. Ils se déplaçaient comme des hommes mais étaient pourvus de tous les attributs des rats d’égouts : museau allongé, fourrure brune hérissée et queue rose.

Quand elle les vit par-dessus le casque de Bruenor, Catti-Brie porta le premier coup. L’éclat argenté de sa flèche mortelle illumina le tunnel latéral comme la foudre et révéla ainsi de nombreuses autres silhouettes qui se dirigeaient vers eux.

Un bruit de pas dans l’eau derrière lui fit se retourner Wulfgar, qui se retrouva face à une armée d’hommes-rats. Il plongea les chevilles dans la boue comme il put et se campa sur ses jambes, Crocs de l’égide prêt à frapper.

— Ils nous attendaient, l’elfe ! hurla Bruenor.

Drizzt en était déjà arrivé à cette conclusion. Au premier cri du nain, il s’était écarté de la lueur de la torche pour tirer avantage de l’obscurité. Après un coude, il avait aperçu deux silhouettes et avait deviné leur sinistre nature avant même que l’éclat de Scintillante dévoile leurs fronts broussailleux.

Toutefois, les rats-garous ne s’attendaient certainement pas à ce qu’ils trouvèrent prêt à se battre, devant eux. Peut-être parce qu’ils pensaient leurs ennemis regroupés autour de la torche, mais ce fut plus probablement la peau noire de l’elfe noir qui les fit sursauter.

Drizzt ne manqua pas de profiter de cet effet de surprise et les trancha en deux d’un seul coup avant même qu’ils aient retrouvé leurs esprits. Il plongea ensuite dans les ténèbres, à la recherche d’un chemin lui permettant de surprendre les agresseurs.

Wulfgar tenait ses assaillants à distance à grands coups de Crocs de l’égide. Le marteau projetait sur le côté tout rat-garou qui s’aventurait un peu trop près, et faisait voler des paquets de boue sur les parois du souterrain à la fin de chaque coup. Toutefois, même si les créatures prenaient la mesure de la force du puissant barbare et que leurs attaques perdaient en intensité, Wulfgar ne pouvait obtenir mieux qu’un match nul, une impasse qui ne se prolongerait qu’aussi longtemps qu’il aurait de l’énergie dans ses bras massifs.

Derrière lui, Catti-Brie et son père s’en sortaient mieux. L’arc magique de la jeune femme – qui décochait des flèches par-dessus la tête du nain – décimait les rangs des rats-garous qui approchaient, tandis que les quelques rescapés qui parvenaient jusqu’à Bruenor, déséquilibrés, à force d’esquiver les traits mortels, s’avéraient des proies faciles pour le nain.

Les chances restaient cependant nettement en défaveur des compagnons, qui savaient que la moindre erreur leur coûterait cher.

Les rats-garous, sifflant et crachant, s’écartèrent de Wulfgar, qui avança, conscient que c’était à lui de provoquer un affrontement plus décisif.

Les hommes-rats s’éparpillèrent alors brusquement et s’enfoncèrent dans le tunnel. À la lisière de la lueur de la torche, Wulfgar vit l’un d’entre eux ajuster une lourde arbalète et tirer.

Instinctivement, le colosse se plaqua contre la paroi et se montra suffisamment vif pour s’écarter à temps de la trajectoire du carreau. Hélas, derrière lui, Catti-Brie, tournée de l’autre côté, ne le vit jamais arriver.

Elle sentit soudain une douleur brûlante exploser en elle, puis la chaleur de son sang, qui coulait sur le côté de sa tête. Les ténèbres envahirent son champ de vision, elle s’effondra contre le mur.

 

***

 

Drizzt se faufilait dans les étroits boyaux aussi silencieusement que la mort. Il avait rengainé Scintillante, craignant d’être trahi par sa lueur, et ouvrait la route avec son autre lame magique. Bien qu’arpentant un véritable labyrinthe, il se sentait capable de retrouver le chemin qui conduisait à ses amis. L’extrémité de chaque tunnel qu’il empruntait était éclairée par des torches, portées par d’autres rats-garous qui se précipitaient sur les lieux du combat.

L’obscurité était certes suffisamment profonde pour permettre au drow de demeurer caché mais Drizzt éprouvait la désagréable impression que ses mouvements étaient épiés, voire anticipés. Des dizaines de passages s’offraient à lui mais ses options se réduisaient au fur et à mesure que des rats-garous apparaissaient à chaque virage. Le circuit qui le menait à ses amis s’allongeait à chaque pas mais il se rendit rapidement compte qu’il n’avait plus d’autre choix que d’avancer devant lui. Des rats-garous se pressaient dans le tunnel principal, derrière lui, et suivaient sa trace.

Il s’arrêta dans l’ombre d’un recoin obscur et inspecta les alentours. Tout en évaluant la distance qu’il avait parcourue, il remarqua que la lueur des torches dansait désormais dans les passages qu’il avait laissés derrière lui. Apparemment, les rats-garous n’étaient pas aussi nombreux qu’il l’avait imaginé dans un premier temps ; ceux qui apparaissaient à chaque nouvel embranchement étaient sans doute les mêmes que ceux aperçus dans les tunnels précédents. Ils couraient dans des couloirs parallèles à celui de Drizzt et parvenaient à l’entrée de chaque passage au moment où l’elfe en sortait.

Néanmoins, la prise de conscience du nombre de créatures n’apporta guère de réconfort à Drizzt. Il n’avait désormais plus de doute ; on le forçait à suivre un certain chemin.

 

***

 

Wulfgar se retourna et vit son amour tombé à terre, sa Catti-Brie, mais les rats-garous se précipitèrent aussitôt sur lui. Le barbare fut alors la proie d’une fureur violente. Il fonça dans les rangs de ses adversaires, les frappa, les écrasa, brisant les os à coups de marteau ou tordant le cou de sa main libre à quiconque passait à sa portée. Les rats-garous parvinrent à lui assener quelques coups tout en reculant mais les quelques écorchures et blessures légères qu’ils lui occasionnèrent n’apaisèrent en rien la rage du barbare.

Il avança en marchant sur des créatures, écrasant ses talons sur les corps agonisants, tandis que d’autres prenaient la fuite, terrorisés.

Un peu plus loin, celui qui était muni de l’arbalète luttait pour recharger son arme, tâche rendue d’autant plus difficile qu’il ne parvenait pas à quitter des yeux le barbare qui approchait et qu’il se savait la cible de la colère du géant.

Les rangs des rats-garous à présent disparus devant lui, Bruenor eut plus le temps de s’occuper de Catti-Brie. Il se pencha vers la jeune femme, le visage couleur de cendre quand il souleva son épaisse crinière auburn, rendue encore plus épaisse par la présence du sang.

Il se hâta d’examiner la blessure et découvrit, soulagé, que sa fille ne semblait pas gravement touchée. Le carreau l’avait bien entaillée mais il l’avait seulement frôlée.

— Ça va, dit Catti-Brie en essayant de se relever.

Bruenor la maintint allongée.

— Doucement, murmura-t-il.

— Le combat n’est pas terminé, répondit-elle, tentant toujours de ramener ses pieds sous elle.

Bruenor lui fit observer l’autre côté du tunnel, où se trouvait Wulfgar, entourés de corps empilés.

— Voilà notre chance, gloussa le nain. Laissons-le croire que tu es touchée.

Catti-Brie se mordit la lèvre, stupéfaite par ce spectacle. Une dizaine d’hommes-rats avait été abattus et pourtant Wulfgar continuait à frapper, son marteau déchiquetant les malheureux qui ne parvenaient pas à s’écarter.

C’est alors qu’un bruit fit tourner la tête à Catti-Brie. L’arc de la jeune femme ne les menaçant plus, les rats-garous revenaient à la charge.

— Je m’en occupe ! lui dit Bruenor. Reste allongée !

— Si tu as des problèmes…

— Si j’ai besoin de toi, rejoins-moi, acquiesça Bruenor. Mais pour le moment, reste allongée ! Donne à Wulfgar une raison de se battre !

 

***

 

Drizzt tenta de revenir sur ses pas mais les hommes-rats eurent tôt fait de bloquer tous les tunnels. Il ne lui resta bientôt plus qu’une seule possibilité ; un passage, large et sec, allant dans la direction opposée à celle qu’il souhaitait suivre.

Les créatures se rapprochaient rapidement et, dans le couloir principal, il devrait les affronter sur plusieurs côtés à la fois. Il se glissa dans le passage et se plaqua contre la paroi.

Deux hommes-rats se présentèrent à l’entrée du tunnel et scrutèrent l’obscurité avant d’en appeler un troisième, muni d’une torche. Ils ne virent pas la lueur jaunâtre et vacillante d’une flamme mais un trait bleuté, soudain apparu quand Scintillante fut dégainée. Drizzt fondit sur eux avant qu’ils aient la possibilité de se défendre avec leurs armes ; il enfonça l’une de ses épées dans la poitrine de l’un et trancha le cou de l’autre d’un grand coup tournoyant de sa seconde lame.

La lueur de la torche les éclaira quand ils s’effondrèrent et révéla le drow, avec ses deux lames maculées de sang. Les rats-garous les plus proches se mirent à hurler, certains lâchèrent même leur arme avant de s’enfuir en courant, mais d’autres survinrent, bloquant toutes les entrées des tunnels de la zone, si bien que leur simple surnombre donna rapidement confiance aux hommes-rats. Lentement et en échangeant des regards à chaque pas afin de s’encourager, ils s’approchèrent de Drizzt.

Le drow envisagea de se ruer sur l’un des groupes, espérant se sortir de ce piège en renversant leurs lignes, mais les rats-garous se tenaient au moins sur deux rangées à chaque passage, voire sur trois ou quatre par endroits. Malgré son talent et son agilité, Drizzt ne pouvait espérer les transpercer suffisamment rapidement pour éviter des attaques dans le dos.

Il se tourna vers le couloir latéral et invoqua une sphère de ténèbres à son entrée, puis il se précipita au-delà du globe et se positionna juste derrière, prêt à accueillir l’ennemi.

Les hommes-rats accélérèrent l’allure quand ils virent leur proie retourner dans le tunnel, puis ils s’arrêtèrent net quand ils se retrouvèrent plongés à l’intérieur de la sphère. Dans un premier temps, ils pensèrent que leurs torches s’étaient éteintes mais l’obscurité était si profonde qu’ils comprirent assez vite qu’il s’agissait d’un sort lancé par le drow. Ils se regroupèrent dans le tunnel principal, puis s’engagèrent de nouveau dans le boyau, avec plus de précautions cette fois.

Drizzt lui-même, malgré ses yeux conçus pour la nuit, ne discernait rien dans les ténèbres de son sort. Une fois placé de l’autre côté, il fit tinter légèrement son épée, puis recommença, guidant ainsi les deux hommes-rats en tête, vers lui. Ils n’étaient pas encore totalement sortis du globe quand l’elfe noir les frappa. Il fit voler leurs armes puis inversa son angle de frappe avant de plonger profondément ses cimeterres dans leurs corps. Leurs cris de douleur firent refluer leurs congénères dans le couloir principal, ce qui offrit à Drizzt un nouveau répit pour évaluer sa situation.

 

***

 

L’être qui maniait l’arbalète sut que son heure était venue quand ses deux derniers compagnons le repoussèrent sur le côté en fuyant désespérément le géant enragé. Il plaça enfin le carreau en position et apprêta son arme.

Mais Wulfgar était trop près. Le barbare attrapa l’arbalète quand celle-ci se dressa et l’arracha des mains du rat-garou avec une telle rage qu’elle se brisa quand elle s’écrasa contre le mur. La créature songea à s’enfuir mais la violence dans les yeux de Wulfgar la cloua sur place et elle regarda, horrifiée, le barbare agripper Crocs de l’égide à deux mains.

Le coup partit à une vitesse inimaginable. L’homme-rat n’eut pas le temps de saisir ne serait-ce que le départ du coup mortel. Il sentit seulement une explosion soudaine au sommet de son crâne.

Le sol se précipita vers lui… Il mourut avant même de s’effondrer dans la boue. Wulfgar, les yeux cernés de larmes, s’acharna violemment à coups de marteau sur la misérable créature jusqu’à ce que son corps ne soit plus qu’une masse de chair informe.

Maculé de sang et de gadoue, il finit par s’adosser contre la paroi. Alors qu’il laissait sa colère dévorante refluer, il entendit les échos du combat dans son dos et se retourna. Il découvrit Bruenor qui repoussait deux rats-garous, derrière lesquels venaient plusieurs autres créatures.

Près du nain, Catti-Brie était étendue contre le mur. Cette vision ranima la flamme de Wulfgar.

— Tempus ! hurla-t-il à son Seigneur des Batailles, avant de se précipiter.

Les rats-garous qui faisaient face à Bruenor trébuchèrent les uns sur les autres en tentant de s’enfuir et offrirent au nain l’occasion d’en abattre deux de plus – ce qu’il fit avec joie. Les autres s’éparpillèrent dans le dédale des tunnels.

Wulfgar voulait les poursuivre, les traquer jusqu’au dernier afin d’assouvir sa vengeance, mais Catti-Brie se redressa et l’arrêta. Elle bondit et se pelotonna contre son torse, ce qui le fit vaciller de surprise, puis elle passa ses bras autour de son cou et l’embrassa avec plus de passion que tout ce qu’il avait jamais imaginé.

Abasourdi, il l’écarta de lui et la contempla un moment, bégayant quelques paroles confuses, jusqu’à ce qu’un sourire joyeux s’épanouisse sur son visage et chasse toutes les autres émotions. Puis il l’étreignit de nouveau dans un nouveau baiser.

— L’elfe ! intervint Bruenor en les séparant.

Il ramassa la torche, maintenant à demi recouverte de boue et qui ne brûlait plus que faiblement, puis s’engagea devant les deux autres dans le tunnel.

Ils n’osèrent pénétrer dans aucun des nombreux passages latéraux, de peur de s’égarer. Le couloir principal restait le chemin le plus rapide, où qu’il les conduise, et ils espéraient simplement entrevoir une lueur ou percevoir un bruit qui les mènerait à Drizzt.

Au lieu de cela, ils parvinrent à une porte.

— Le bâtiment de la guilde ? murmura Catti-Brie.

— Quoi d’autre ? répondit Wulfgar. Seul un repaire de voleurs disposerait d’une ouverture donnant sur les égouts.

Au-dessus de la porte, à l’abri d’un renfoncement secret, Entreri observait les trois compagnons avec curiosité. Il avait deviné que quelque chose se tramait quand les rats-garous s’étaient rassemblés dans les égouts, un peu plus tôt cette nuit-là. Il avait espéré qu’ils se mettraient en route vers la ville mais il était rapidement devenu évident qu’ils avaient l’intention de rester là.

Puis ces trois-là s’étaient présentés devant la porte sans le drow.

Le menton calé dans la paume de la main, Entreri réfléchissait à ce qu’il allait faire.

Bruenor examina avec soin le battant, sur lequel était clouée une petite boîte en bois, à hauteur d’œil humain. N’ayant pas le temps de jouer aux devinettes, le nain leva hardiment un bras et arracha la boîte, puis regarda à l’intérieur.

Son visage se déforma de perplexité quand il vit ce qu’elle contenait. Il haussa les épaules et la tendit à Wulfgar et Catti-Brie.

Le barbare ne se montra pas si étonné. Il avait déjà aperçu un tel objet auparavant, sur les quais de la Porte de Baldur. Un nouveau présent de la part d’Artémis Entreri – un autre doigt de halfelin…

— Assassin ! rugit-il, avant d’assener un violent coup d’épaule contre la porte.

Celle-ci sauta de ses gonds et Wulfgar, pris par son élan, chancela quelques pas devant lui tout en poussant le battant arraché. Avant même de s’en être débarrassé, il entendit un fracas derrière lui et comprit à quel point il s’était comporté de façon stupide. Il s’était jeté la tête la première dans le piège d’Entreri.

Une herse s’était abattue en travers de l’ouverture et le séparait désormais de Bruenor et Catti-Brie.

 

***

 

Les rats-garous s’engouffrèrent de nouveau dans la sphère de ténèbres de Drizzt, le bout de leurs longues lances pointé vers l’avant. S’il parvint à abattre les premiers assaillants, le drow fut submergé par le nombre des créatures qui leur succédèrent. Il céda volontairement du terrain, tout en parant leurs assauts grâce à ses épées. Il profita tout de même de quelques ouvertures et se montra assez vif pour atteindre ses cibles.

Soudain, une odeur singulière se propagea et couvrit la puanteur des égouts, une senteur sirupeuse qui raviva de lointains souvenirs à l’elfe noir. Les hommes-rats accentuèrent leur pression, comme si cette odeur stimulait leur désir de se battre.

Puis Drizzt se rappela. À Menzoberranzan, la ville où il était né, certains elfes drows avaient domestiqué des créatures qui exhalaient une odeur semblable. Ces bêtes monstrueuses, appelées rossolis, masses informes dotées d’excroissances gluantes, engloutissaient et dissolvaient purement et simplement tout ce qui les approchait.

Drizzt luttait désormais pied à pied. Il avait bien été poussé vers cet endroit, pour y affronter une mort affreuse ou peut-être pour y être capturé, car le rossolis dévorait ses victimes si lentement que certaines substances étaient capables de lui faire lâcher prise.

Il entendit un bruissement et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Le rossolis se trouvait à peine trois mètres plus loin et étirait déjà une centaine de tentacules collants.

Les cimeterres de Drizzt fendaient l’air et plongeaient, tournoyaient et tranchaient, en une danse plus magnifique que celles jamais effectuées. Un rat-garou fut touché une quinzaine de fois avant de se rendre compte que le premier coup l’avait atteint.

Hélas, les hommes-rats étaient simplement trop nombreux pour que Drizzt puisse résister, sans compter que la vue du rossolis les encourageait.

Il sentit le chatouillement des excroissances agitées, à quelques centimètres de son dos. Il n’avait maintenant plus la place de manœuvrer ; les lances allaient sans aucun doute le jeter vers le monstre.

Il sourit et l’éclat brûlant de ses yeux s’intensifia.

— Est-ce ainsi que cela va s’achever ? murmura-t-il à voix haute.

L’éclat de rire qu’il libéra soudain fit sursauter les rats-garous.

Scintillante lui ouvrant la voie, Drizzt fit demi-tour et plongea au cœur du rossolis.

Le Joyau du Halfelin
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